J’ai fini par me retrouver, seule.

J’ai fini par me retrouver, seule.
Photo by Conor Sexton / Unsplash

Ce jour là, j’ai fini par me retrouver seule.

Après toutes ces années à partager mon temps avec les autres, il n’était désormais plus qu’à moi.

Au début, je ne savais pas quoi en faire, de tout ce temps. J’en avais trop. J’en ai donc tué une grande partie à scroller sur les réseaux, le regard vide et le cerveau éteint. Une mort nulle et sans intérêt pour un cadeau si précieux. Du gâchis. 

J’ai donc décidé de le tuer autrement. J’ai décidé d’honorer ce temps en lui donnant un sens. Il serait mon allié dans ma quête d’amélioration. 

Faire du sport, manger correctement, me faire masser, drainer mes chevilles de grand-mère héritées de cette dernière, écrire des poèmes, jouer de la guitare, et tout recommencer le lendemain. Désormais, chaque instant servait une cause. Mon temps ne mourait plus en vain : il accomplissait une mission.

Mais très vite, j’ai sombré dans l’obsession.

Si par malheur, un instant m’échappait sans remplir ma mission, je me flagellais. Plus durement encore que ne l’aurait fait mon pire ennemi. J’étais devenue mon propre bourreau, ma commandante en chef qui m’avait faite esclave de ses ambitions. 

Trois mois ont passé ainsi. Trois mois à tuer mon temps avec honneur, jusqu’à ce qu’un jour, tout bascule.

Ce jour-là, j’avais du temps en trop. Et j’étais épuisée.
Trop épuisée pour lui offrir une mort honorable.
Ma routine militaire avait eu raison de moi.

Soucieuse tout de même de ne pas sacrifier mon temps si précieux à des activités vides de sens, je me suis contentée de rester là, immobile.Assise sur une chaise en bois, les yeux rivés sur la piscine verdâtre de mon hôtel sans étoiles, j’ai simplement existé. Et ça faisait longtemps.

Et dans ce silence, ma voix intérieure a surgi. Elle n’avait jamais vraiment cessé de parler, mais je l’avais étouffée sous les ordres incessants que je me lançais. Et ce qu’elle m’a dit m’a foudroyée.

« Tu te mens à toi-même, le sens que tu donnes à ton temps n’est qu’une supercherie. La vérité c’est que tu as longtemps cherché du sens mais tu ne l’as jamais trouvé. Alors tu l’as inventé. Mais après ? Tu espères arriver où avec ta routine ? Quel est l’objectif final si ce n’est ta propre mort ? ».

Ces mots ont fissuré ma réalité.
Ma discipline, mon contrôle, tout n’était qu’une fuite. Une façon d’ignorer l’évidence : j’avais peur. Peur d’affronter la seule vérité inéluctable : la finitude de mon temps, et par extension, la mienne.

Cette nuit-là, je n’ai pas dormi et pendant une semaine, je n’ai pas bougé de mon lit. Je n’en avais plus la force. 

Le commandant en chef qui me poussait dans mes entrainements quotidiens avait quitté son poste. Certainement vexé que j’ose donner la parole à ma raison. Mon corps était douloureux, marqué par le surentrainement qui se faisait ressentir dans chacune de mes articulations. Je n’avais plus le coeur à rien. Et ma tête était parasitée par ma voix intérieure qui m’envoyais un flot de pensées incessantes, rattrapant ces trois mois de mutisme forcé. Quand enfin le silence est revenu, une question s’est imposée :

« Et maintenant ? »

Et, dans une harmonie parfaite, ma raison, mon cœur, mon corps et même mon ancien commandant en chef m’ont murmuré la réponse :

« Ne prends pas la vie au sérieux. De toute façon, tu n’en sortiras pas vivante. »

Une citation de Bob Marley, conservée dans mon esprit depuis la première fois que je l’ai lue, à 8 ans. Comme si mon esprit avait jugé que j’étais enfin disposée à comprendre le sens véritable de ces mots.

Depuis ce jour, j’ai cessé de vouloir dompter mon temps.
Je ne cherche plus à le tuer, ni à le glorifier.

Je le laisse simplement être.

Je n’ai plus besoin de me commander car la vie le fait pour moi.
Je fais confiance au destin et je suis enfin en paix avec ma finitude.

Ce jour là, j’ai fini par me retrouver, seule.